mardi 14 octobre 2014

Le grand débarras - La rue Broquet 3


Minuit :
Et la cloche de la place des humains se mit à sonner, sonner et sonner encore. Elle ne s'arrêtait pas.
Elle ne s'arrêterait pas dans leur tête non plus. Ils se regardaient leurs visages baignés de larmes, ils riaient autant qu'ils pleuraient tant ils étaient heureux à nouveau de se trouver là, ensemble, jsute des humains de la même planète.
Allez !! Glissez-vous derrière les platanes ! Prenez donc une chaise à la terrasse du café ! Non ? Vous n'osez pas ? Asseyez vous donc devant le fournil d'Aristide ! Toujours pas ? Ah, je sais, j'ai trouvé la place idéale pour observer : la méridienne, devant l'atelier de Jeanne !! Installez-vous, fermez, les manteaux, serrez-vous les un-e-s contre les autres, ouvrez grand les mirettes, je vous raconte :
                                                          

Chaque année, les habitants de la rue Broquet chassent les démons et des fantômes en se retrouvant. C'est un rituel, c'est une fois par an et si certain-e-s ont déjà essayé d'y échapper, rares y sont parvenu-e-s. Les humains ont leurs coutumes ; les habitants de la rue Broquet ont beau être exceptionnels, ils n'échappent pas aux règles du groupe social, ils ont donc aussi leur rite. Et ce jour là c'est le jour du grand débarras.


C'est le matin, le givre a recouvert la place, et pourtant, le rituel aura lieu. Chaque 1er janvier, les habitants ouvrent grand leurs portes et c'est le déballage qui commence. Regardez  au loin, au bout de la rue, vous voyez ? C’est Eugène qui commence. Il est sorti le premier, il y tient Eugne à être le premier. Il a monté la grille du café. Elle fait un bruit à réveiller la planète, cette grille. Eugène doit y passer de l’huile sur les rouages depuis un an mais a toujours autre chose  à faire. D’un autre côté cela arrange bien ses voisins. Avec ce bruit, plus de démons et on sait quand l’établissement est ouvert. Eugène a revêtu pour l’occasion un grand tablier blanc, celui que Jeanne lui a confectionné l’année dernière. C’est un assemblage de tissus issus des paniers de la couturière. De tous ses paniers. Le mérite de ce tablier, c’est qu’on voit Eugène de loin. Il ne peut passer inaperçu dans la rue. C’est coloré, fantasque, bariolé, comme Eugène !!
Ce matin, Eugène a passé le tablier plein de poches sur une veste chaude. Il se tient devant son café, bien campé, en attendant que le reste de la rue se réveille.
Il sourit, la chasse aux démons et aux fantômes va commencer. Les petits  dormiront mieux ce soir et les grands n’auront plus d’angoisses.
Eugène reste ainsi un moment à contempler la rue vide et à penser à ses ami-e-s disparus cette année, à qui on pensera ce soir. Mais avant ce soir, il a du boulot. Il tape d’un pied sur l’autre sur le sol pour se rechauffer, souffle sur ses poings et commence à descendre les chaises des tables pour installer la terrasse. Plus tard, il ira installer tables et chaises avec les autres tout autour de la place.
Sa terrasse installée il rentre dans le café et va y chercher un  drapeau rouge qu’il accroche à sa fénêtre.
Le signal est donné.
Et comme par enchantement, la rue s’anime et prend vie. Là des volets qui s’ouvrent, ailleurs des rires qui fusent, plus loin des drapeaux qui ornent d’autres fenêtres. Chaque habitant sort de sa demeure bien emmitouflé, et apporte sur la place chaises et tables. Chacun vient s’installer pour cette longue journée. Les portes et les fenêtres resteront ouvertes tout au long du jour. Durant tout une année, chacun a mis de côté se dont il ne voulait plus. Chaque habitant-e aujourd’hui va se débarrasser de ce qui l’encombre.
Les tables sont joliment installées sur la place dans un bazar organisé. Un allée centrale est laissée libre, tout comme les abords de la place pour facilite la circulation des hommes, bêtes, objets et esprits malicieux. Les gens affluent, s’embrassent, s’étreignent. Eugène s’agite, va de table en table proposer des boissons chaudes pour réchauffer les corps et réveiller les cerveaux encore engourdis de sommeil. Aristide a ouvert le fournil et apporte des meringues à chacun. Le pain de la journée sera cuit dans le four commun de la rue.
On parle peu place des humains, on se regarde, beaucoup. On lit les chagrins et les joies de l’année sur les visages parfois tendus.
Les vieux s’amusent. Beaucoup. Rue Broquet, être vieux prend tout son sens. Les vieux habitent une immense maison, la plus grande de la rue.Elle est conçue pour y vieillir en paix. Les plus âgés habitent au rez de chaussée, côté jardin. Ils y ont un accès direct. Ils observent et conseillent les moufflets qui viennent cultiver le potager. Les plans inclinés leur permettent d’accéder au reste de la maison sans encombre. Coté cour du rez de chaussée c’est l’atelier. Une immense pièce accueille les minots et leurs menottes. On y peint on y bricole on y découpe, on a aussi le droit de faire rien. On y croise donc des ados, en mode horizontal, vautré-e-s dans des canapés. Quand ils sont trop fatigués pour se déplacer, c’est la rue Broquet qui leur rend visite.
Au premier étage, la maison accueille les vagabondants, ceux qui ne peuvent pas, ne savent pas ,n’ont pas envie, n’ont pas idée ….. d’avoir un toît à eux.
Au second étage, c’est l’étage intermédiaire…. On en parlera plus tard.
Et enfin un grenier, lieu de trésors et de pépites. Ce grenier est occupé aujourd’hui. Chacun trie ses affaires pour sélectionner ce dont il va se lester. On n’hésite pas à héler les passants pour leur lancer les ballots.

Vous qui regardez l’animation de la rue Broquet vous devez voir toutes ses taches de couleur s’échanger de mains en mains.
Il est bientôt midi, le grand troc va commencer, et ce soir, ce sera le grand débarras !!

Jeanne et Cassandre ont trainé  près du four des fauteuils confortables. Elles ont mis des coussins pour les dos douloureux et des reposoirs pour les pieds fatigués. Les vieux sont aux premières loges.
Jeanne et Jean se tiennent côte à côte bien serrés. Jeanne est émue de se débarrasser de tant de choses. Jean la taquine doucement lui expliquant qu’elle se sentira mieux ce soir …
Alia et Octave viennent d’arriver. Alia se contente de regarder. Elle est accueillie par la rue Broquet comme l’une des leurs.
Octave ne porte que sa besace en bandoulière, ce dont il doit se débarrasser tient sur des rectangles de papier pliés en 4. Il attendra ce soir.

L’après midi se déroule en échanges. Aucune transaction financière n’est acceptée. Ici une lampe vaut un cahier, un crayon un fauteuil, une plante peut se troquer contre une garde robe.

En fin de journée chacun rentre chez soi se reposer. Il faudra du temps pour s’habituer à cette nouvelle donne. Et puis, il faut préparer la soirée.

La soirée du grand débarras permet à chacun de laisser son fardeau moral, de se nettoyer la tête et le cœur pour la nouvelle année.
Les habitants de la rue Broquet vont se réunir, on va les laisser. Je peux juste vous dire ceci. Ils vont se serrer autour du feu, pour se soutenir. Puis tour à tour, chacun va jeter ses rectangles de papier dans le feu.Sur des bouts de papier, ils ont écrit ce dont ils veulent se débarasser. Les chaines qui les empêchent d’avancer.
Il y aura des larmes, beaucoup, mais aussi des sourires, des rires. Et surtout beaucoup d’humanité.
Et à minuit la cloche sonnera la nouvelle année.

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