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Tit’dame marche très vite à petits pas serrés son sac bien
fermé et collé entre son bras et son aisselle. A droite. Elle le tient à droite
et ses clefs serrés dans son poing à gauche. Parce qu’on ne sait jamais.
Tit’dame aimerait marcher plus vite, parce que la nuit est
tombée, qu’elle est seule et qu’elle n’entend que le bruit de ses talons sur le
macadam. Mais elle marche depuis si longtemps qu’elle aimerait s’arrêter, elle
est maintenant coincée au milieu du passage piétons. C’est bizarre. Les irrégularités
du sol font comme des collines à escalader. Comme si elle n’en n’avait pas
assez escaladé des montagnes !!
Depuis qu’elle marche ce matin, le monde change, devient
plus grand. Ce doit être la fatigue de la journée. Parce qu’elle a été longue
cette journée.
Tit’dame n’aime pas marcher en talons, elle n’aime pas les
jupes droites non plus. Mais ce matin elle avait en entretien d’embauche dans
une grande société alors elle a fait avec. Elle a gentiment enfilé son uniforme
d’entretien d’embauche. Celui de la trentenaire-qui-présente-bien. Son mec lui
a dit : « pas trop courte la jupe, hein, ça fait salope, et pas trop
long, non plus, hein, ça fait vieille fille ». Il y a quelque chose qui la
dérange quand il parle comme ça, mais elle ne peut pas lui en vouloir. Il est
tellement gentil. Enfin, pas toujours. Mais les autres lui disent qu’à son âge,
il vaut mieux rester avec lui, parce que ce n’est quand même pas facile de
trouver quelqu’un. Et puis, comme dirait sa mère, « la vie, ma p’tite
fille, ce n’est pas toujours simple, parfois il faut faire des concessions,
alors même si tu n’en as pas toujours envie, force toi !! Le plaisir vient
en mangeant ! ».
Bon, évidemment ce n’est pas le moment de penser à tout ça
devant le miroir. Il faut qu’elle le décroche ce job, elle a 32 ans, un diplôme
universitaire en poche, des envies toutes simples d’un appartement plus grand,
une pièce en plus, ce serait bien, pour faire un bureau, (« ou une chambre
d’enfants » dit sa mère) . Pcht’ Tit’dame chasse maman de ses
pensées, se maquille, (ni trop ni pas assez), choisit des souliers à talons (ni
trop hauts ni pas assez), son manteau passe-inaperçue et descend les escaliers.
Tit’dame s’engouffre dans la bouche de métro, ( enfin elle préfère
penser comme cela parce que c’est une phrase qu’elle a souvent lue dans des
livres), en réalité, elle joue des coudes pour descendre à peu près debout et
arriver entière en conservant une figure humaine jusqu’à son quai. Les couloirs
sont interminables mais sont bondés. Elle préfère .Le wagon aussi. Elle
déteste.Elle se tient droite, son cartable devant elle comme une armure, se
dandidant d’un pied sur l’autre tandis que ses voisins la frôlent. « scusez-moi,
à gauche », « scusez-moi, à droite », elle se mord les lèvres,
lève les yeux haut ciel ne pouvant rien faire coincée contre la barre de
maintien tandis que son voisin la frôle, jusqu’à la PELOTER, au moment où
la rame arrive en gare, les portes s’ouvrent et la foule la libère. Elle
accélère le pas pour trouver la sortie, monte les escaliers aussi vite que
possible et ne retrouve son calme qu’au
bout de 5 minutes.
- - Allo ? c’est moi ?
- - -- ….
- - Y a un mec qui m’a touché dans le métro
- - Comment ça , « toucher » ?
- - Ben tu vois, ses mains sur moi, dans le wagon
- - Oh, n’y pense pas, ça va passer, ça arrive tous
les jours, on en parle ce soir, là j’ai un rendez-vous, mais pleurniche pas, ça
va faire couler ton mascara !! allez, t’es la meilleure ma poulette !!
Tit’dame raccroche, sort un miroir de poche et ajoute un peu
de noir à ses yeux.
Et là voilà partie à son entretien d’embauche, mettant 5 mn
de plus pour y arriver que prévu, ne sachant pas vraiment pour quelle raison,
surement une histoire d’équilibre cosmique.
Elle rentre dans un bel immeuble, s’annonce à l’hôtesse d’accueil
dont la jupe est très courte, les talons très hauts, et les cheveux très blonds
note t elle mentalement. Elles traversent toutes les deux couloirs et salles,
prennent un ascenseur avant de se présenter à un autre bureau derrière lequel trône
une jumelle de la première hôtesse.
Tit’dame décline son identité, prend place
- veuillez prendre place lui a-t-on intimé - ,et attend.
Quelques minutes plus tard, un homme sort du bureau, se
dirige droit vers le bureau d’accueil, se penche près de l’hotesse et lui tapote l’épaule tandis qu’elle lui tend le dossier de Tit’Dame.
Cette dernière se lève et se sent juste mise à nu tandis que l’Homme la regarde
de bas en haut puis de haut en bas et de nouveau de bas en haut avant de lui
serrer la main. Il l’entoure de son bras avec bienveillance pour la guider vers
l’entrée de son bureau dont elle ne sortira que 30 mn plus tard avec une fois
de plus la sensation d’avoir été brillante jusqu’à ce que l’ Homme revienne sur
son âge et son possible désir d’enfants à elle.
- Allo ?
c’est moi
- Alors ?
- Alors,
rien. Comme d’habitude.
-Bon c’est
pas grave, tu feras mieux la prochaine fois. Et puis, tu sais, ces postes à
responsabilité, c’est peut-être pas pour toi, faut avoir les nerfs fragiles.
Dis, comme tu as le temps, tu veux bien me repasser une chemise pour demain ?
Allez, pupuce, pleure pas, ça va te faire couler le mascara !
Tit’dame décide donc de ne pas rentrer immédiatement mais d’aller
se promener avant de rentrer. Son mec a raison, elle devrait peut-être viser
moins haut. Déjà ses profs lui disaient que la littérature et l’art c’était
mieux pour elle que les maths. Elle les a écoutées. C’est vrai que c’est pas
facile, faut avoir une âme de chef, alors que tout le monde sait que ce serait
plus épanouissant pour elle de rester assistante. Elle aurait peut-être dû
faire décoratrice d’intérieur. Tout ce rose, ce poudré, c’est tellement
féminin.
C’est à ce moment de la promenade, que Tit’dame commença à
éprouver la sensation que le monde devenait immense.
Elle continua sa promenade et entra dans un magasin de
sports. Elle se dirigea naturellement vers les enseignes roses, mauves, fushia
et y trouva des articles de danse et des chaussures de sports roses aussi. « Une
vraie tenue de princesse » s’exclama le caissier avec un clin d’œil.
Tit’dame était fatiguée, épuisée par sa journée ; elle
aquiesca et sourit en payant.
En sortant, le monde lui parut encore plus grand.
Il était tard maintenant, elle avait marché longtemps ,
longtemps et était arrivée à la conclusion que sa mère avait raison. Et son mec
aussi. Pourquoi se tuer à la tâche pour gagner moins que lui ? autant
rester à la maison, faire des enfants, les élever et s’occuper de la maison. Une
jolie prison rose poudrée.
Et plus cet avenir se dessinait dans son esprit, plus elle s’enfonçait
dans le macadam.
Tit’dame rapetissait.
Et le lendemain, dans les journaux, sa disparition fut
annoncée sans que quiconque n’aille interroger le principal responsable de
cette disparition : « Mr Patriarcat ».