mardi 25 novembre 2014

Mr Patriarcat

Mit la couleur de Visant-militant dedans ( http://www.visant.fr/patriarcat.jpg)


Pour en voir plus cliquer là : http://www.visant.fr/patriarcat.jpg

Tit’dame marche très vite à petits pas serrés son sac bien fermé et collé entre son bras et son aisselle. A droite. Elle le tient à droite et ses clefs serrés dans son poing à gauche. Parce qu’on ne sait jamais.
Tit’dame aimerait marcher plus vite, parce que la nuit est tombée, qu’elle est seule et qu’elle n’entend que le bruit de ses talons sur le macadam. Mais elle marche depuis si longtemps qu’elle aimerait s’arrêter, elle est maintenant coincée au milieu du passage piétons. C’est bizarre. Les irrégularités du sol font comme des collines à escalader. Comme si elle n’en n’avait pas assez escaladé des montagnes !!
Depuis qu’elle marche ce matin, le monde change, devient plus grand. Ce doit être la fatigue de la journée. Parce qu’elle a été longue cette journée.
Tit’dame n’aime pas marcher en talons, elle n’aime pas les jupes droites non plus. Mais ce matin elle avait en entretien d’embauche dans une grande société alors elle a fait avec. Elle a gentiment enfilé son uniforme d’entretien d’embauche. Celui de la trentenaire-qui-présente-bien. Son mec lui a dit : « pas trop courte la jupe, hein, ça fait salope, et pas trop long, non plus, hein, ça fait vieille fille ». Il y a quelque chose qui la dérange quand il parle comme ça, mais elle ne peut pas lui en vouloir. Il est tellement gentil. Enfin, pas toujours. Mais les autres lui disent qu’à son âge, il vaut mieux rester avec lui, parce que ce n’est quand même pas facile de trouver quelqu’un. Et puis, comme dirait sa mère, «  la vie, ma p’tite fille, ce n’est pas toujours simple, parfois il faut faire des concessions, alors même si tu n’en as pas toujours envie, force toi !! Le plaisir vient en mangeant ! ».
Bon, évidemment ce n’est pas le moment de penser à tout ça devant le miroir. Il faut qu’elle le décroche ce job, elle a 32 ans, un diplôme universitaire en poche, des envies toutes simples d’un appartement plus grand, une pièce en plus, ce serait bien, pour faire un bureau, (« ou une chambre d’enfants » dit sa mère) . Pcht’ Tit’dame chasse maman de ses pensées, se maquille, (ni trop ni pas assez), choisit des souliers à talons (ni trop hauts ni pas assez), son manteau passe-inaperçue et descend les escaliers.
Tit’dame s’engouffre dans la bouche de métro, ( enfin elle préfère penser comme cela parce que c’est une phrase qu’elle a souvent lue dans des livres), en réalité, elle joue des coudes pour descendre à peu près debout et arriver entière en conservant une figure humaine jusqu’à son quai. Les couloirs sont interminables mais sont bondés. Elle préfère .Le wagon aussi. Elle déteste.Elle se tient droite, son cartable devant elle comme une armure, se dandidant d’un pied sur l’autre tandis que ses voisins la frôlent. « scusez-moi, à gauche », « scusez-moi, à droite », elle se mord les lèvres, lève les yeux haut ciel ne pouvant rien faire coincée contre la barre de maintien tandis que son voisin la frôle, jusqu’à la PELOTER, au moment où  la rame arrive en gare, les portes s’ouvrent et la foule la libère. Elle accélère le pas pour trouver la sortie, monte les escaliers aussi vite que possible et ne  retrouve son calme qu’au bout de 5 minutes.

-         -  Allo ? c’est moi ?
-         - -- ….
-         -  Y a un mec qui m’a touché dans le métro
-         -  Comment ça , «  toucher » ?
-         -  Ben tu vois, ses mains sur moi, dans le wagon
-         -  Oh, n’y pense pas, ça va passer, ça arrive tous les jours, on en parle ce soir, là j’ai un rendez-vous, mais pleurniche pas, ça va faire couler ton mascara !! allez, t’es la meilleure ma poulette !!

Tit’dame raccroche, sort un miroir de poche et ajoute un peu de noir à ses yeux.
Et là voilà partie à son entretien d’embauche, mettant 5 mn de plus pour y arriver que prévu, ne sachant pas vraiment pour quelle raison, surement une histoire d’équilibre cosmique.
Elle rentre dans un bel immeuble, s’annonce à l’hôtesse d’accueil dont la jupe est très courte, les talons très hauts, et les cheveux très blonds note t elle mentalement. Elles traversent toutes les deux couloirs et salles, prennent un ascenseur avant de se présenter à un autre bureau derrière lequel trône une jumelle de la première hôtesse.
Tit’dame décline son identité,  prend place  - veuillez prendre place lui a-t-on intimé - ,et attend.
Quelques minutes plus tard, un homme sort du bureau, se dirige droit vers le bureau d’accueil, se penche  près de l’hotesse  et lui tapote l’épaule  tandis qu’elle lui tend le dossier de Tit’Dame. Cette dernière se lève et se sent juste mise à nu tandis que l’Homme la regarde de bas en haut puis de haut en bas et de nouveau de bas en haut avant de lui serrer la main. Il l’entoure de son bras avec bienveillance pour la guider vers l’entrée de son bureau dont elle ne sortira que 30 mn plus tard avec une fois de plus la sensation d’avoir été brillante jusqu’à ce que l’ Homme revienne sur son âge et  son  possible désir d’enfants à elle.

-  Allo ? c’est moi
-  Alors ?
- Alors, rien. Comme d’habitude.
-Bon c’est pas grave, tu feras mieux la prochaine fois. Et puis, tu sais, ces postes à responsabilité, c’est peut-être pas pour toi, faut avoir les nerfs fragiles. Dis, comme tu as le temps, tu veux bien me repasser une chemise pour demain ? Allez, pupuce, pleure pas, ça va te faire couler le mascara !

Tit’dame décide donc de ne pas rentrer immédiatement mais d’aller se promener avant de rentrer. Son mec a raison, elle devrait peut-être viser moins haut. Déjà ses profs lui disaient que la littérature et l’art c’était mieux pour elle que les maths. Elle les a écoutées. C’est vrai que c’est pas facile, faut avoir une âme de chef, alors que tout le monde sait que ce serait plus épanouissant pour elle de rester assistante. Elle aurait peut-être dû faire décoratrice d’intérieur. Tout ce rose, ce poudré, c’est tellement féminin.
C’est à ce moment de la promenade, que Tit’dame commença à éprouver la sensation que le monde devenait immense.
Elle continua sa promenade et entra dans un magasin de sports. Elle se dirigea naturellement vers les enseignes roses, mauves, fushia et y trouva des articles de danse et des chaussures de sports roses aussi. « Une vraie tenue de princesse » s’exclama le caissier avec un clin d’œil.

Tit’dame était fatiguée, épuisée par sa journée ; elle aquiesca et sourit en payant.

En sortant, le monde lui parut encore plus grand.
Il était tard maintenant, elle avait marché longtemps , longtemps et était arrivée à la conclusion que sa mère avait raison. Et son mec aussi. Pourquoi se tuer à la tâche pour gagner moins que lui ? autant rester à la maison, faire des enfants, les élever et s’occuper de la maison. Une jolie prison rose poudrée.

Et plus cet avenir se dessinait dans son esprit, plus elle s’enfonçait dans le macadam.

Tit’dame rapetissait.


Et le lendemain, dans les journaux, sa disparition fut annoncée sans que quiconque n’aille interroger le principal responsable de cette disparition : « Mr Patriarcat ».

mercredi 5 novembre 2014

Always, la Traviata, Vania, la sphaigne & moi....


Je suis en colère. Une de celles qui enflent, une de celles chevillées à mon corps, à mes tripes, une de celles qui me donnent envie de me re-connecter avec l'ado que j'étais & de lui dire : " y a du boulot, ma grande, la route est difficile, tu seras pas seule mais t'as pas choisi la voie la plus simple".
Hier ou avant hier, je suis tombée en arrêt devant cette immonde publicité :


Pour l'anecdote, on rappelle que c'est la même marque qui nous a pondu le truc démago à souhaits il y a quelques temps #likeagirl et pinaise, j'y ai cru !!! je me suis dit que le monde allait changer, que ouéééééééééé y avait des gentes qui pensaient égalité, féminisme toussa toussa..... avant de tomber sur ce qu'il convient d'appeler vulgairement parlant "une bonne grosse bouse". 

Parce qu'on ne s'y trompe pas, le message là il est quand même clair : " toi, femelle impure, quand tu as des règles, le nauséabond fumet que tu dégages gène les autres voyageurs"; Accessoirement, c'est évident que toutes les femmes que je connais ont envie de pécho quand elles se retrouvent face à un wagon de mecs suants & transpirants (mais de la sueur qui sent bon). 
Parce que c'est bien connu, quand une femme se déplace dans les transports en commun, elle n'a qu'une seule envie : "PECHO".
Elle n'utilise pas les transports en commun pour juste se déplacer et en profiter pour rêvasser, lire, travailler non, elle veut juste PECHO. 
Et jamais elle a la trouille.
Elle se dit : chouette, un wagon de mecs qui puent rien que pour moi, mais heureusement j'ai ma sphaigne.

Et, oui, !!! LA SPHAIGNE, alors la sphaigne je crois que je vis avec depuis que je sais que le mot "serviette hygiénique" existe.
La sphaigne, c'est ça :


La Sphaigne est une mousse que l'on trouve dans les tourbières, au bord des cours d'eau et des étangs jusqu'à des altitudes de 2000 mètres.
Les sphaignes sont la composante principale des tourbières des zones tempérées, elles sont de véritables éponges végétales capables de stocker d'importantes quantités d'eau ( 30 fois leur poids!).
Ce sont aussi ces mousses qui sont à la base de la formation de la tourbe: En se décomposant elles deviennent d'abord de la tourbe blonde, puis ensuite de la tourbe brune...[source : http://lalam.pagesperso-orange.fr/orchigazette/sphaigne.htm]

Les premiers qui nous ont bien gonflé la serviette et rempli la cup avec l'idée de la femme & la nature, le naturel féminin , et la sphaigne donc c'est VANIA
Souvenez-vous, la liberté & la TRAVIATA.... mais si... Vania mettait en scène un groupe de femmes qui marchaient vers la liberté  !!! 
Et surtout on se marre en allant sur le site officiel: "Pour VANIA, plus les femmes restent à l'écoute de leur coprs, et connectées avec la nature, plus elles sont fortes et libres" 
AMEN 

LA LIBERTE, voilà, tout est dit , donc quand nous avons nos règles, nous ne sommes pas libres, nous sommes emprisonnées par ces odeurs nauséabondes qui nous empêchent de penser, de vivre, mais heureusement Always, Vania & les autres, nous libèrent, grâce à la sphaigne, grâce à des perles de soie qui neutralisent les odeurs . 

Le message qu'on nous adresse ce n'est justement pas celui d'une femme qui est libre de vivre, de penser, de rire, de jouir, non, c'est une femme qui pue. Parce que le sang, celui des menstrues, de la procréation, de l'ovulation, c'est sale. La preuve c'est que le sang dans ces publicités n'est jamais rouge, mais bien bleu.
Bien sûr. 

Et comme si ça ne suffisait pas, ces marques crétines insistent sur l'hygiénisme à tout crin poil en développant toute une gamme de produits pour NOTRE INTIMITE ( traduction : ta chatte elle pue tout le temps). 
Nous avons donc ses serviettes ,( nan mais c'est pas possible), pour tous les jours, et puis des gels aussi, des savons doux, bref, des trucs qui vont donner des odeurs.
Mais pas sa propre odeur.
Ben non.

Conclusion :
le sang est bleu
on sent le chèvrefeuille
on se colle des couches à la sphaigne pour pécho des mecs dans le métro la nuit






















lundi 27 octobre 2014

Ze Ampersand ou comment épeler des pirouettes





«Cependant,le marin pensa qu’en obstruant certaines portions de ces couloirs, en bouchant quelques ouvertures avec un mélange de pierres et de sable, on pourrait rendre les “Cheminées”habitables. Leur plan géométrique représentait ce signe typographique &,qui signifie et cætera en abrégé. Or, en isolant la boucle supérieure du signe, par laquelle s’en- gouffrait le vent du sud et de l’ouest, on parviendrait sans doute à utiliser sa disposition inférieure. »
Jules VERNE, L’Île Mystérieuse, chap. V.

Il est fort possible qu'inconsciemment ma passion pour les Esperluettes provienne de cette lecture.
Je n'en sais absolument rien.
J'ai toujours adoré cette forme et les variations, il y a une chouette page ici et un blog dédié avec de très belles photos

Je pense que j'aime et maintiens l'usage de l'esperluette par esprit de contradiction AUSSI. Car mon amie si enjouée, délirante, enjouée, déliée, dézinguée, gothique, italique, bref, la Barbamama de la typographie est CARREMENT rejetée par la langue littéraire , (pfff, bande de nazes), alors qu'en Angleterre, elle est d'un usage courant : Ampersand ( and, per se, and)
Ce qui est quand même assez délirant quand on pense que mon "epelle-pirouette" était considérée comme la 27ème lettre de l'alphabet jusqu'au XIXème siècle. Comme quoi, quand on veut que la langue évolue on peut  !!!  n'en déplaise à certain-e-s , et là l'extrait que je me repasse en boucle, je ne m'en lasse pas ....

Voilà donc ma bulle de typographe à moi, cette ligature du "e" & du "t" qui me plonge systématiquement dans un océan de mots et d'associations possibles, de pleins et de déliés reposants.

samedi 25 octobre 2014

Mais que c'est moche un trombone :-) !



Dans la série "embellissons notre vie avec peu de choses", aujourd'hui : LES TROMBONES.
Alors comme ça, ok ça vend pas grave du rêve je vous l'accorde mais si vous avez juste envie d'égayer vos dossiers, cahiers et que vous vous lassez des post-its, ce billet de blog est pour vous.

Chez nous les livres s'échangent, se déplacent, sont entamés puis laissés de côté avant d'être repris.
Par conséquent les marque-pages se multiplient et nos livres sont vite saturés de posts-its. ( j'ai décidé autoritairement de marquer le pluriel à ma façon)
Et comme je noircis pas mal de pages, ça m'aide d'avoir des marques faciles à retrouver, mais les posts-its se décollent, s'emmêlent et finissent collés au fond du sac, donc changement de point de vue  : maintenant !!! (et pourtant j'adore les posts-its !!!)

J'ai donc profité d'un p'tit moment pour fabriquer des marque-pages avec mes amis les rouleaux de MT.
Petit  DIY en photos:

Etape 1 : le trombone & le scotch



Etape 2 : on coupe, on colle
Et .... tadam !! ENJOY








vendredi 24 octobre 2014

la Dame de Lys ou comment un jour j'ai basculé dans le "shabby chic"




Ma Dame de Lys is my favourite shabby chic !!!!
La Dame de Lys est une femme inspirante et inspirée que j’ai rencontrée il y a quelques années dans un petit atelier de couture.
J’y venais en curieuse, elle y venait exposer. Au milieu des corsets, au détour des jupons, je rencontrai donc la Dame de Lys, plantée devant sa table, une mèche violette dans les cheveux soulignant son audace et sa personnalité.
Je pense que cette rencontre n’est pas pour rien dans le désir de Loulette de créer. Depuis je suis la Dame de Lys. Du blog aux expos, de chez elle à la Japan addict, de vernissage dans des lieux zarb, à son site que je regarde avec gourmandise.
Les bijoux de la dame de Lys sont précieux à mes yeux. Ils ont accompagné beaucoup de moments importants de ma vie.  Avec respect et talent elle a transformé de précieux souvenirs en bijoux et allumé des étincelles dans les yeux de ma fille.
Grâce à elle j’ai découvert corsets et steampunk, et surtout, surtout j’ai rencontré une femme exceptionnelle qui pendant 5 années à su montrer à tout le monde que la passion peut être un moteur.
La Dame de Lys, cette note est pour toi, rien que pour toi, pour que les jours de pluie et de doute, tu regardes ceci et que tu n’oublies jamais que le talent ne se perd pas.

En attendant les gens, le site est encore

H. comme un grain de cendres - la rue Broquet 4


photo Arnaud Deschutter 
H. se releva difficilement et retomba immédiatement. Elle préféra s’asseoir et regarda autour d’elle. Sa vision était brouillée et elle mit un temps à s’accommoder à l’obscurité. Elle était adossée à un mur, ses jambes allongées devant elle. Et le monde tanguait méchamment. Son premier réflexe fut de regarder l’heure. H. portait une montre gousset à remontoir de l’ancien temps, elle la chercha dans sa poche et ne la trouva pas. Péniblement elle tira sur la chaîne qui la reliait à sa ceinture et la sentit poisseuse. Elle la jeta avec dégoût. Elle se reprit, porta la main à sa bouche et lécha ses doigts : du sang. C'est alors qu'elle réalisa que son pantalon était trempé, tout comme ses chaussures et son dos. Comme si elle s’était baignée dans une mare de sang ;
Elle s'appuya sur le mur, pour se relever, en vain. Sa tête cognait, mais elle n'avait pas le temps d'écouter sa douleur. Il lui fallait avancer, comprendre ce qui se passait et tout ceci dans l'obscurité la plus totale. Pourquoi cette mare de sang, pourquoi ce silence, pourquoi ce froid, pourquoi cette nuit. Et l’univers qui faisait le grand huit.
Elle étendit ses bras et passa la paume de sa main contre le mur. Du métal, des aspérités et de nouveau ses plaies qui s’ouvrent. Soudain, une aspiration l’emporta loin ; elle sentit plus qu’elle ne la vit la terre venir à elle.  Vite, beaucoup trop vite. Elle ne s’entendit pas hurler. Et personne n’était plus là pour l’entendre .Son crâne éclata et H. sentit le goût du métal dans sa bouche. Et d’un seul coup sous ses paumes la poussière fine des cendres. Elle était à plat ventre,  échouée sur les rails. Le bruit des pâles d’un hélicoptère lui fit ouvrir les yeux. Elle tourna la tête et réalisa, comateuse, qu’elle venait d’être jetée d’une carlingue en métal genre container du siècle dernier et que si le peu de perceptions qu’elle avait encore  était juste, elle venait d’échouer dans une gare désaffectée. Un bel endroit dans lequel des gens avaient dû vivre, rire, courir, patienter dans le froid, compter les rails, faire un vœu en entendant le passage à niveau, («  si j’arrive de l’autre côté avant que la barrière ne ferme, c’est promis j’arrête les bêtises ») un endroit vivant. Avant. Comme tant de choses avant comme tant d’endroits dans lesquels désormais une foule uniforme vieille et grise attendait la mort.
Bref, il n’y avait aucune raison de se réjouir car s’il elle avait survécu jusqu’ici elle ne donnait pas cher de sa vie pour les 24h à venir. H.ne s’était jamais définie comme particulièrement courageuse et là, la tête dans la boue, les vêtements couverts de sang, grelottant de froid dans ce monde cadavérique elle se sentait particulièrement seule.
Au prix de cris de douleurs qu’elle réprima, elle se mit debout et en boitillant décida de se mettre à l’abri dans un des containers qu’elle distinguait sur sa gauche. Elle avait entendu parler d’un endroit où la priorité était à gauche et naïvement elle se disait que peut être plus elle allait sur sa gauche, plus elle rencontrerait ce monde. En attendant, elle se contentait de se déplacer en attendant un miracle qui la sorte de cet endroit. Le clair-obscur l’empêchait de progresser à son aise. De temps en temps son pied heurtait quelque chose de dur, ou au contraire mou et spongieux ; H. savait ce qu'il en était : des cadavres, que des cadavres....
Elle arrive au premier container exsangue. En passant sa main prudemment sur la surface elle détecte des inscriptions en relief. Le sourit en grimaçant. Elle ne se souvient pas encore de tout ce que ses tortionnaires lui ont infligé mais son corps se charge bien de le lui rappeler. De ses doigts privés d’ongles elle trace fébrilement les contours des idéogrammes. Plusieurs fois. Comme par magie, une porte se dessine dans le métal et s’ouvre. Elle entre prudemment, ses pieds meurtris heurtent du verre, des bouts de chaises ou de tables renversées .Elle se contient  pour ne pas hurler quand elle reconnait le bruit des os des mains qui craque sous ses pas. H. s’assied, à l’abri un moment. Elle sait que  la gare est devenue un immense ossuaire.

Ce n’est qu’une épreuve de plus. Elle sait aussi qu’ils l’observent.
C’est un jeu. Le jeu de la survie. Et H. se débrouille bien à ce jeu-là. Enfin, jusqu’à maintenant.
Elle décide donc qu’elle sera plus forte.
Elle sort .Autour d’elle tout n'est plus que silence et nuit. La mort a frappé, à grande échelle en plus. H. sait qu’il existe une sortie, là-bas au loin. Elle compte à mi-voix 3 containers, 1 espace à découvert, 3 containers, 1 autre espace à découvert. [3-1-3-1] C’est un immense espace de jeu. Rien d’autre.
Et une comptine lui revient en tête, surgit de son enfance, morte elle aussi : « 3 pas en avant, 3 pas en arrière …. »
C'est fou ce qu'une centaine de morts peuvent vous apporter comme moyen de survies ; H. traverse les voies, qu’elle souhaite déminées pour atteindre les espaces clôturés de barrière devant elle. La lampe torche qu’elle a dénichée dans le container lui permet de repérer, sous les cendres, des vêtements propres, des cartes de traverses valides et non nominatives, quelques armes, de la nourriture. Évidemment les gardiens ont laissé ça en évidence. Histoire de nourrir l’espoir. « 3 pas en avant, 3 pas en arrière…. ».
H. récupère ce qu’elle peut, sur les cadavres et sous les cendres. Il faut nuit, encore mais d’un seul coup le ciel s’éclaire.
H. est prise au piège. Elle repère les miradors et  les barbelés, invisibles jusque-là. Le scénario est parfaitement huilé. Elle sait maintenant ce qu’il arrive à ceux et celles qui résistent.
Elle se plante donc crânement au début des rails, elle ne sait pas d’où va venir l’attaque. Elle regarde autour d’elle. Partout des hommes et des femmes hagard-e-s, ils/elles sont parqué-es dans des espaces ouverts aux clôtures électriques invisibles. Les espaces sont rectangulaires et délimitées par des piques recouverts de fils de couleur. Ces hommes, ces femmes sont des condamné-e-s : sont les repriseur-se-s de couche d’ozone. Elle le sait maintenant. Elle n’a plus le choix. Elle deviendra l’un-e des leurs si elle survit. Si elle échoue elle mourra.
Elle les regarde. Chaque cheffe de bloc commence à taper sur les barreaux des échelles qui bordent le camp.
Le bruit est assourdissant ,H. ferme les yeux, prend son élan et court. « 3 pas en avant, 3 pas en arrière » c’est portée par ce bruit, par la clameur de cette foule qu’elle franchira chaque rail. Il est interdit de toucher les bords et elle le sait. Elle n’a pas le droit de s’arrêter sinon les soldat-e-s tireront, alors elle court, vers une sortie, vers son imaginaire, vers un endroit qui n’existe que dans sa tête.
Et d’un seul coup elle se rappelle les paroles de l’oracle, 5 ans plus tôt : « et du ciel vinrent le vent la poussière les cendres et la nuit.  Le monde devint dur comme l’onyx, les hommes des ombres, leur peau du velours noir, leurs mots des crachats, leurs pensées emmurées leurs désirs engloutis. La terre gronda, les continents se rapprochèrent, les forts exterminèrent les faibles, les lâches pillèrent les villes et continuent leur errance dans les déserts de cendres. Quant aux survivants, Le monde qu’ils avaient connu ne serait plus. Ils se réveilleraient dans la nuit et désormais cette noirceur serait leur quotidien. Ils ramperaient plus qu’ils ne marcheraient, ne pourraient plus s’enfuir, engourdies seraient leurs pensées. Ainsi l’avait prédit l’oracle et cette nuit-là, tous réalisèrent qu’ils auraient préféré la fin du monde que la vie dans ce monde-là. »
Pendant ce temps, sur la place de la rue Broquet, les habitant-e-s retiennent leur souffle. Alia leur a ouvert une fenêtre vers leur autre monde. Leurs joues inondées de larmes, tou-te-s regardent ce qu’est devenu leur monde et savent que la rue Broquet ne sera plus jamais la même après avoir vu cela.



mardi 21 octobre 2014

Nantes, Martin Winckler, des grains de sable... mais pas que






-        Madame, vous avez oublié votre sac
-        Merci Monsieur, vous venez de sauver ma vie
-       -Ce n’est qu’un prêté pour un rendu
-       - ……
Le monsieur qui vient de parler m’a tendu mon sac. Nous descendons de l’autobus tandis qu’il répond à ma muette interrogation :

-       Je suis un ancien grand bègue, j’ai bégayé pendant 20 ans, beau voyage.

Et il s’en alla rejoindre l’aérogare.

Et là, le temps s’arrêta. Des secondes s’égrénèrent dans un assourdissant vacarme (t’as vu l’oxymore, là ??) . Le voyageur, tel un Efrit, disparut aussi vite qu’il était apparu et je retombai de mon nuage assez maladroitement en tentant vainement d’assembler les éléments chronologiques.
Ce que je fis après le « WAOUH, collectif » émis par les 4 orthophonistes présentes. ( parce que franchement, c’est un beau moment de vie non ?)
Nous revenions du 26ème congrès scientifique de la Fédération Nationale des Orthophonistes à Nantes. Dans la navette qui roulait vers l’aéroport, j’avais discuté avec une orthophoniste des communications que nous avions entendues et en particulier du bégaiement. Ensuite, ma légendaire étourderie a fait le reste et l’équilibre cosmique la suite.
Cependant, je ne crois pas au hasard. Je crois aux coïncidences, aux chemins qui se croisent, aux choix que nous faisons mais pas au hasard. Alors après avoir apprécié à sa juste valeur ce moment d’humanité, j’ai repensé aux interventions que j’avais écoutées pendant tout ce congrès et à Martin Winckler.
Parce qu’à Nantes, oui, j’ai écouté Martin Winckler et que, comme d’autres j’ai retracé au crayon noir  son dessin sur le carnet-qui-ne-me-quitte-pas et que depuis je regarde ce dessin ,( rangé avec l’hymne des femmes, hein !) , et je me demande si je suis toujours, (en tout cas assez souvent), capable d’envoyer la corde à la bonne personne et au bon moment. Et souvent ce n’est plus une corde mais bien un filet. Un filet arachnéen, de ceux qui sont assez fins pour ne pas blesser mais assez solides pour ne pas rompre. Ceux dont on entoure le/la patient-e mais aussi sa famille, ses ami-e-s. Parce que le/la patient-e ne vit pas seul-e, n’est pas une entité extra-terrestre, mais bien un-e être humain-e comme moi. Sauf que moi, je suis supposée avoir le « savoir-faire » et le « savoir-être » susceptibles de l’aider ; (On exclut ceux/celles qui se plantent et cherchent l’orthopédiste, l’infirmière ou l’ornithologue).
Donc oui je me suis posé ces questions, une nouvelle fois.
Comme à chaque prise en charge.
Et le dimanche soir, cette bulle irréelle qui vient se poser. 
Cet instant rare du témoignage d’un patient à des professionnels.

Alors je n’ai pas sauvé la vie de ce monsieur, mais quelque part dans cette partie du monde, un-e ou plusieurs collègues l’ont fait. Et c’est juste incroyable. Parce que ça signifie que Martin Winckler était le bien venu à Nantes car ses grains de sable ont de grandes chances de se transformer en petits cailloux qui nous serviront à retrouver notre chemin.